Catégories
Publications

Faire la réalité ou s’y faire ? La modélisation et les déplacements de la politique économique au tournant des années 1970

Download PDF ou https://doi.org/10.3917/pox.095.0047

Thomas Angeletti, 2011, « Faire la réalité ou s’y faire ? La modélisation et les déplacements de la politique économique au tournant des années 1970 », Politix, 95, p. 47-72.

Comment se constitue, se consolide et se déploie une certaine réalité économique ? Cet article étudie la question à travers la situation du Commissariat général au Plan à la fin des années 1960. Si celui-ci occupe alors une place importante dans l’espace politico-administratif, il fait toutefois l’objet de nombreuses remises en cause, en raison particulièrement de la force alors accordée au marché et à la concurrence extérieure. L’introduction dans ce cadre d’un modèle macroéconomique dénommé « FIFI », élaboré par une équipe d’économistes de l’INSEE, s’accompagne de certains déplacements quant au mode de fabrication des politiques économiques et de leurs finalités. Il a ainsi été conçu de manière à dresser un tableau de l’économie française en 1975 si aucune décision n’était prise, afin d’identifier les problèmes économiques à venir et de déterminer les solutions pouvant être proposées. En ce qu’il est un instrument d’attribution de causalités (entre différentes entités telles que le salaire, le chômage ou encore la contrainte extérieure), le modèle FIFI tend à déplacer le type d’imputations sur lesquelles s’appuient les participants au Plan, et notamment les organisations syndicales. Ainsi, ces métrologies économiques n’ont pas pour seule conséquence de faire une réalité chiffrée et relativement autonome ; elles déstabilisent également d’autres formes politiques, celles-ci explicitement fondées sur des valeurs.


How a certain economic reality is made, strengthened, and spread? This article examines the problem through the situation of the French General Planning Commissariat in the late 1960s, which at that time held a key place in the political-administrative area. However, given the force accorded to the market and the external constraint, this institution became increasingly questioned. In this context, a new macroeconomic model called « FIFI », developed by a group of economists at the INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), introduced some innovations regarding the formulation of economic policies and their bases. The model has been designed to provide a picture of the French economy in 1975 if no decisions were taken, in order to identify future problems which could arise from the trends and to determine the solutions which could be recommended. As it is an instrument that attributes causality (between various entities such as wages, unemployment or external constraint), the FIFI model tends to displace the type of imputations on which the participants of the Plan rely, especially trade unions. Hence, these economic metrologies not only produce a reality, made up of numbers and relatively independent; they also destabilize the political forms that are explicitly based on values.